vendredi 29 janvier 2010

Grand-mère

Il y a deux jours, le mercredi 27 janvier était le jour de la commémoration de la Shoah. Je propose l'histoire de ma belle-mère que j'avais également écrite pour le livre inédit. Une amie m'a dit qu'elle ne supportait pas deux types de lectures, les histoires déprimantes et les histoires en rapport avec la Shoah... Une autre connaissance m'a signalé que les digressions dans la biographie de Tal étaient un peu ennuyeuses. En espérant de ne pas décourager mes lecteurs par cette nouvelle parenthèse, voici l'histoire de la grand-mère de Tal:

Au début des années vingt, la marieuse des juifs de Szatmár présenta Frida Stern, fille de Salomon Stern et Sara Zins de Satoraljaujhely, à Katalin Frenkel, née Goldstein, la veuve d'Elias. La belle jeune fille aux yeux mauves plut immédiatement à la mère de Samuel qui la proposa à son fils unique. Le mariage fut célébré en 1926, un an plus tard naquit Katalin la sœur aînée de Regina, la seule que Sara se rappelait avec certitude: à dix-sept ans, Kata devait avoir un fiancé, car Sara raconterait que le jeune homme avait été déporté avec sa famille.

Après la naissance de la mère de Yoav naquirent cinq autres enfants que Frida élevait d'une poigne de fer. Samuel passait une grande partie de ses journées dans son commerce, une sorte de droguerie où il se chargeait également de vendre et d'exporter du vin. Il devait être assez habile en affaires; en tout cas, Frida se rendit de temps à autre en cure thermale, probablement pour se remettre de ses fréquents accouchements. Un jour, elle emmena sa fille Regina qui fut éblouie par l'élégance des curistes, la magnificence des hôtels et des bains.

Au printemps 1944, toute la famille fut sommée de se rendre dans la ville de Satoraljaujhely où tous les Juifs de la région furent emprisonnés pendant un mois dans le ghetto de la ville. C'est de là que peu après le quinzième anniversaire de Regina-Sara, des trains les emmenèrent à Auschwitz: le voyage dans les wagons à bestiaux dura plusieurs jours et nuits, malgré la relative proximité géographique des lieux.

A leur arrivée dans les camps, Sara observa que sa mère et ses jeunes frères et sœurs furent immédiatement emmenés en rang vers les lointaines chambres à gaz, là où s'élevaient les fumées des fours crématoires. Elle vit son père rejoindre un groupe d'hommes, alors qu'elle-même, Kata et Lenke, sa sœur cadette, furent dirigées vers les blocs des femmes où on les rasa et où on lui marqua l'avant-bras gauche d'un numéro indélébile A-6223.

Sara passa l'été et l'automne à Birkenau/Auschwitz, puis, en janvier 45, elle fut hissée en compagnie de ses deux sœurs sur un camion et débarquée, après quelques pénibles journées de voyage dans le froid, la souffrance et la faim dans un camp de travail du nom de Weisswasser en actuelle Tchéquie. Là, elle dut contribuer à alimenter la machine de guerre allemande dans une usine d'armements affiliée à l'entreprise Telefunken, tandis que les rotations des équipes ouvrières excédaient douze heures d'affilée. A quinze ans et demi, ce travail d'esclave l'usa, de sorte qu'au printemps 1945, lorsque les troupes russes délivrèrent le camp de travail, on la retrouva mourante, ravagée par le paratyphus. A la différence de ses deux sœurs, elle survivrait à sa grave maladie.

Lorsque par miracle elle revint à elle, une seule idée la tarauda: retourner à Tolscva à la recherche de son père. Elle se mit en route avec deux autres femmes, tantôt à pied, tantôt sur des véhicules de fortune qui acceptèrent de les emmener, tantôt en train. Elle finit par arriver à Budapest où une organisation sioniste, la Shomère Hatzaïr, récupérait les orphelins rescapés. Elle obtint l'autorisation de partir quelques jours à Tolscva. Dans le train, elle reconnut des voisins juifs rescapés des camps et les interrogea sur le sort de Samuel. C'est ainsi qu'elle apprit qu'il était mort peu de temps avant la libération des camps.

Plus tard, dans la même journée, Sara eut un nouveau choc en découvrant la maison familiale occupée par leurs anciens voisins paysans. Lorsqu'ils reconnurent avec effroi la petite Regina Frenkel, ils voulurent l'inviter, mais l'adolescente avait déjà rebroussé chemin. Elle rejoignit le groupe sioniste, car elle savait désormais qu'elle n'avait plus sa place en Hongrie: on lui avait tout pris, spoliée de tout. Quant à elle, elle décida de vivre: elle honorerait le souvenir de sa famille par sa survie.

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